Par Renaud ROQUEBERT, Stanislas ROQUEBERT & Clémence BAUCHE
8 juin 2020
Largement commentée, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 a instauré une prorogation des délais échus et un report de certaines procédures pendant la période d’urgence sanitaire afin de « neutraliser » les délais ayant commencé à courir avant le 12 mars 2020 ou à compter de cette date jusqu’à la fin de l’état de l’urgence sanitaire augmenté d’un mois (dite « période juridiquement protégée »). En pratique, cette période juridiquement protégée devait donc prendre fin le 24 juin 2020.
Toutefois, la loi n°2020-546 du 11 mai 2020 ayant prorogé l’État d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, la question de l’extension corrélative de la période juridiquement protégée s’est posée.
La nouvelle ordonnance n°2020-560 du 13 mai 2020 a répondu à cette interrogation en fixant la fin de la période juridiquement protégée au 23 juin 2020 à minuit, ne faisant donc plus coïncider la reprise des contrôles / contentieux douaniers et fiscaux avec la date de fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ainsi, cette nouvelle ordonnance apporte des modifications à la précédente ordonnance (dont vous pouvez retrouver nos commentaires ici) tant en matière fiscale que douanière, résumées dans le tableau ci-dessous et commentées dans cette publication.
I – Vue d’ensemble des mesures fiscales et douanières adoptées au 25 mai 2020 au niveau international
F ace à l’amplification de la crise sanitaire dans le monde à la fin du mois de février, les différents gouvernements se sont montrés réactifs en adoptant rapidement des mesures destinées à soulager la trésorerie des entreprises impactées par la crise sanitaire.
Par cette étude, il apparaît que les États ont pris des mesures qui s’unissent autour de cinq grands piliers : (i) le report des échéances d’impôts directs (ii) et indirects, (iii), le report des obligations déclaratives des contribuables, (iv) des mesures douanières spécifiques et (v) la suspension des contrôles et contentieux ; quelques États ont également pris des mesures concernant le remboursement accéléré des crédits d’impôts / acomptes et le report du stock de pertes en avant ou en arrière.
[table style= »2″]
[tr][th][/th] [th]Ordonnance du 25 mars 2020 (n°2020-306)[/th] [th]Ordonnance du 13 mai 2020 (n°2020-560)[/th] [th]Commentaires[/th][/tr]
[tr][td]Délai de droit commun*[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état
d’urgence + 1 mois[/td] [td]
Suspension du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juin 2020 minuit
Fin de la période juridiquement protégée fixée au 23 juin 2020
[/td] [td]Par l’ordonnance du 13 mai 2020, le Gouvernement met fin à la corrélation entre la durée de l’état d’urgence sanitaire et celle de la période juridiquement protégée.[/td][/tr]
[tr][td]Délai relatif aux contrôles fiscaux et douaniers[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence + 1 mois[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée + 2 mois = 23 août 2020 à minuit[/td] [td]Le Gouvernement prolonge de deux mois supplémentaires par rapport au délai de droit commun celui relatif à la suspension des contrôles fiscaux et douaniers.[/td][/tr]
[tr][td]Délai relatif aux rescrits fiscaux et douaniers[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence + 1 mois[/td] [td]
Suspension du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juin 2020 minuit
Fin de la période juridiquement protégée fixée au 23 juin 2020 à minuit
[/td] [td]La suspension des délais relatifs aux demandes et examens de rescrit (ou toutes autres demandes administratives) cessera le 23 juin (délai de droit commun).[/td][/tr]
[tr][td]Délai de recouvrement des créances publiques[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence + 2 mois[/td] [td]Suspension du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée + 2 mois = 23 août 2020 à minuit[/td] [td]L’article 11 de la première ordonnance n’a pas été modifié par l’ordonnance du 13 mai 2020. Ainsi, les opérations relatives au recouvrement sont suspendues jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée, soit en pratique jusqu’au 23 août 2020.[/td][/tr]
[/table]
* Ce délai de droit commun définit la période juridiquement protégée visant l’ensemble des actes et situations générales, à l’exception, notamment, des délais dérogatoires listés dans le tableau ci-dessus.
NOTA 1 : La période juridiquement protégée se décompte de jour en jour, s’agissant des contrôles fiscaux et douaniers la prescription expirant au 31 décembre 2020 sera reportée d’autant (i.e. BOI-DJC-COVID19-20). Sa durée est de 165 jours => pour la prescription triennale acquise normalement le 31/12/2020 (exercice fiscal 2017), le délai de prescription expirera le 14 juin 2021.
NOTA 2 : Les délais relatifs aux contrôles fiscaux et douaniers échus pendant la période juridiquement protégée recommencent à courir à compter du 23 août 2020 pour la durée restante.
- S’agissant du délai relatif aux contrôles fiscaux et douaniers
Nous l’avons vu, si l’état d’urgence se poursuit jusqu’au 10 juillet prochain, le délai de droit commun de la période juridiquement protégée s’étend du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus. Le Gouvernement a donc souhaité décorréler ces deux périodes afin d’accompagner au mieux la reprise progressive de l’activité économique.
1 – Cela étant dit, la matière fiscale fait figure d’exception. Le Gouvernement, conscient de la
nécessité pour les entreprises d’orienter toutes leurs préoccupations sur la reprise de l’activité, a fixé un terme différent s’agissant des contrôles fiscaux.
En effet, l’article 1er, 4° de l’ordonnance 2020-560 du 13 mai 2020 prolonge la suspension des délais prévus en matière de contrôle fiscal jusqu’au 23 août 2020 inclus, à savoir deux mois après le terme de la période juridiquement protégée de droit commun.
Cette période s’étend donc du 12 mars 2020 au 23 août 2020 inclus, soit sur 165 jours.
Cette nouvelle définition de la période juridiquement protégée emporte les commentaires
suivants :
-
- Les délais de prescription : la période juridiquement protégée se décompte de jour en jour. Aussi, l’administration a précisé (BOI-DJC-COVID19-20, 10) que la prescription expirant au 31 décembre 2020 sera reportée d’autant. En conséquence, la prescription triennale acquise normalement le 31 décembre 2020 (i.e. concernant l’exercice fiscal 2017) expirera le 14 juin 2021 (31 décembre 2020 + 165 jours).
- Les délais de procédure échus pendant la période juridiquement protégée recommenceront à courir à compter du 24 août 2020 et pour un délai équivalent à la durée non échue avant le 12 mars 2020. Ainsi, un contribuable ayant reçu une proposition de rectification 10 jours avant le début de la période juridiquement protégée disposera d’un délai de 20 jours à compter du 24 août 2020 pour présenter ses observations, soit en pratique jusqu’au 12 septembre 2020 (compte tenu du fait que le délai octroyé au contribuable pour présenter ses observations est de 30 jours).
2 – En matière douanière, en revanche, une fois n’est pas coutume, tout n’est pas si simple :
– S’agissant des ressources propres de l’Union Européenne (i.e. droits de douane, droits
anti-dumping, TVA à l’importation) : l’administration des douanes considère que les ordonnances françaises ne peuvent suspendre les délais prévus par le droit de l’Union, cette suspension pouvant porter atteinte aux intérêts financiers de de cette dernière. Sont concernés, notamment, les délais concernant le droit d’être entendu ou celui de la reprise de l’administration des douanes qui ne sont pas suspendus par principe.
Même si cela n’est pas indiqué expressément par l’ordonnance du 13 mai 2020, ce raisonnement devrait s’appliquer aux demandes de remboursement des droits de douane et de la TVA à l’importation. Ainsi, les délais relatifs à ces demandes ne devraient pas être suspendus.
Dans ce contexte, en pratique, et selon les cas, il est recommandé de solliciter un report de ces contrôles pour présenter des observations auprès du service d’enquête concerné.
– Au contraire, les contrôles douaniers relatifs aux taxes nationales demeurent suspendus jusqu’au 23 août 2020 inclus (cf. commentaires ci-dessus).
- S’agissant du délai relatif aux aux rescrits fiscaux et douaniers
Les délais prévus en matière de rescrits (ou toutes autres décisions administratives) sont exclus
de la prolongation de la durée de la suspension. Ils restent suspendus jusqu’au 23 juin 2020 à
minuit (en application du délai de droit commun).
- S’agissant du délai de recouvrement des créances fiscales et douanières
Enfin, s’agissant du recouvrement des créances fiscales et douanières, l’article 11 de la première ordonnance n’a pas été modifié par l’ordonnance du 13 mai 2020. Ainsi, les opérations relatives au recouvrement sont suspendues jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la fin de la période juridiquement protégée (prenant fin le 23 juin à minuit).
En pratique, ce délai s’étend donc du 12 mars 2020 au 23 août 2020.