PANORAMA MONDIAL DES MESURES FISCALES ET DOUANIÈRES MISES EN ŒUVRE EN RÉPONSE A LA CRISE SANITAIRE DU COVID-19

Par Renaud ROQUEBERT, Stanislas Roquebert, Luana Higino Balbino & Clémence BAUCHE

25 mai 2020

La crise sanitaire du Covid-19 touche actuellement la quasi-totalité de la planète depuis près de six mois. Au plus fort de la période de confinement, nous étions alors près de 4 milliards de personnes appelées à rester chez nous, soit la moitié de la population mondiale.

Inévitablement, la crise sanitaire s’est alors accompagnée d’une crise économique touchant tous les secteurs d’activité. Face à cette catastrophe sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les États ont dû faire face à une problématique cruciale remontant à l’origine des Hommes : trouver le « juste milieu ».

En effet, les différents pouvoirs étatiques ont dû réagir afin de prendre des mesures visant à équilibrer deux impératifs : la protection de la population et la préservation de l’économie. A l’heure où la protection des personnes semble en voie d’acquisition, plusieurs pays ont déjà amorcé une première phase de dé-confinement très progressive, visant, notamment, à faire repartir les différentes activités économiques. Toutefois, nous sommes encore très loin d’un retour à la normale de l’économie mondiale.

Dans ce contexte, afin de limiter autant que possible les impacts de cette crise sur leurs entreprises, la plupart des pays du monde ont rapidement adopté et adoptent encore un certain nombre de mesures fiscales et douanières.

A travers cet article, nous vous proposons un tour d’horizon des principales mesures prises par les États suivants : les États-Unis, le Brésil, le Japon, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, afin d’y apporter un œil critique.

Nous avons concentré notre étude sur les mesures fiscales, douanières et judiciaires dont ont pu bénéficier les entreprises et sociétés. La finalité de cette publication étant de confronter ces mesures, une étude plus approfondie de ces dernières est à retrouver en parallèle de cet article.

I – Vue d’ensemble des mesures fiscales et douanières adoptées au 25 mai 2020 au niveau international

F ace à l’amplification de la crise sanitaire dans le monde à la fin du mois de février, les différents gouvernements se sont montrés réactifs en adoptant rapidement des mesures destinées à soulager la trésorerie des entreprises impactées par la crise sanitaire.

Par cette étude, il apparaît que les États ont pris des mesures qui s’unissent autour de cinq grands piliers : (i) le report des échéances d’impôts directs (ii) et indirects, (iii), le report des obligations déclaratives des contribuables, (iv) des mesures douanières spécifiques et (v) la suspension des contrôles et contentieux ; quelques États ont également pris des mesures concernant le remboursement accéléré des crédits d’impôts / acomptes et le report du stock de pertes en avant ou en arrière.

Remboursement accéléré de crédit d’impôts et des acomptes

Report des échéances d’impôts directs

Mesures relatives aux pertes reportables

Report des échéances d’impôts indirects

Report des obligations déclaratives

Mesures douanières

Suspension des contrôles / contentieux fiscaux et douaniers

États-Unis

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Appliqué

Appliquées

Annoncée

Japon

Appliqué

Appliquées

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Brésil

Appliqué

Appliqué

Appliqués

Appliquée

Suisse

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Allemagne

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Espagne

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Appliquée

France

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Appliquée

Italie

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Appliquée

Pays-Bas

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Appliqué

Appliqué

Appliquées

Royaume-Uni

Appliqué

Appliqué

Appliqué

Appliquées

  • Report des échéances d’impôts directs

1 – La totalité des pays étudiés prévoit un mécanisme de report du paiement des échéances des impôts directs dont l’étendue, dans les montants et dans le temps, varie.

Bien que ces reports de paiement soient généralement tous soumis à un certain nombre de conditions plus ou moins restrictives, la volonté des pays est de permettre au plus grand nombre de conserver la trésorerie nécessaire afin de surmonter leurs difficultés financières et poursuivre leurs activités.

2 – Le report de ces échéances s’applique généralement pour une durée de trois mois sans qu’aucune pénalité ou intérêt de retard ne soient appliqués, avec des conditions d’octroi relativement souples comme dans les pays européens, mais également aux États-Unis ou au Japon (i.e. absence d’examen préalable des demandes de report des contribuables).

Toutefois, le bénéfice du report est, dans certains cas, limité à certaines catégories de contribuables comme en Espagne ou en Italie.

  • Report des échéances d’impôts indirects

1 – En matière de fiscalité indirecte, la majorité des pays prévoient (à l’exception du Brésil), comme en fiscalité directe, un report du paiement des échéances de TVA dues au titre des mois impactés par la crise sanitaire (généralement la TVA due au titre des mois de mars et avril) sans qu’un examen approfondi de la situation des contribuables souhaitant bénéficier de ce report ne soit entrepris par les administrations fiscales locales.

2 – Par ailleurs, dans le contexte particulier de la crise sanitaire, différentes mesures ont été prises, au niveau européen, afin de favoriser la vente de matériels et fournitures en vue de soigner les malades et de lutter contre la propagation du virus.

Ainsi, l’Espagne, l’Allemagne et les Pays Bas n’ont pas soumis, temporairement, à la TVA la fourniture de ces biens au profit d’établissements de soins ou organismes sans but lucratif.

  • Report des obligations déclaratives

1 – Sans exception, l’ensemble des États de ce panorama ont fixé des modalités de report des obligations déclaratives, notamment en ce qui concerne le dépôt des liasses fiscales relatives à l’exercice fiscal 2019. Ainsi, la plupart des pays ont reporté d’un ou deux mois ces échéances.

2 – Toutefois, il convient de noter que, même si la plupart des États ont prévu des modalités de report de paiement de la TVA due au titre des mois de mars et avril 2020, un tel report s’agissant des déclarations de TVA n’est pas prévu. A contrario, le dépôt d’une déclaration de TVA semble, en majorité, une des conditions afin de pouvoir bénéficier du report du paiement de TVA (comme en Allemagne ou au Pays-Bas par exemple).

  • Mesures douanières visant à soulager la trésorerie des entreprises et à faciliter les échanges internationaux

Des dispositions douanières ont également été adoptées, tant au niveau européen qu’au niveau national, visant (i) à faciliter et aménager la déclaration et les paiements des taxes et droits de douanes mais également (ii) à conserver les ressources sanitaires détenues localement nécessaires à la lutte contre la pandémie.

1 – Ainsi, des mesures permettant de faciliter les échanges internationaux des matériels médicaux ont été adoptés par certains États. A titre d’exemple, l’Allemagne et le Brésil prévoient une importation rapide des biens destinés aux victimes de la crise du Covid-19 (matériel chirurgical, médical et de laboratoire) par l’accélération de la procédure d’importation de ces articles, et par la possibilité de présenter des déclarations en douane à l’avance (i.e. avant que les marchandises ne soient présentées aux autorités douanières).

Par ailleurs, la plupart des pays concernés ont mis en place une franchise de droits et taxes à l’importation d’équipements de protection individuelle (« EPI ») ainsi qu’une certaine souplesse sur les normes requises.

Ces types de mesures ont également été pris, plus globalement, au niveau européen notamment s’agissant des autorisations des EPI (e.g. masques ou gants). Encore, la Commission Européenne a autorisé les États Membres à avoir recours à des « visites virtuelles » afin d’examiner les procédures d’obtention du statut d’opérateur économique agréé (« OEA ») permettant ainsi de faciliter les renouvellements ou premières demandes d’autorisations.

2 – En outre, plusieurs pays tels que la France, la Suisse ou l’Espagne ont prévu une exonération de TVA à l’importation et droits de douanes pour les équipements médicaux destinés à être fournis (vendus ou donnés, selon les cas) aux organismes publics ou sans but lucratif.

3 – Enfin, le Brésil a prévu la suspension des droits antidumping sur certains produits médicaux (e.g. seringues) importés des États-Unis, de Chine, du Royaume-Uni ou encore de l’Allemagne.

  • Suspension des contrôles et contentieux fiscaux et douaniers

La plupart des États ont décidé de suspendre les contrôles et contentieux en cours et se sont engagés, plus ou moins formellement, à ne pas engager de nouvelle procédure. Ces mesures sont nécessaires afin de préserver la sécurité juridique des contribuables mais également le principe de l’égalité des armes et du contradictoire devant les juridictions.

  • Mesures relatives aux pertes reportables

1 – A titre d’exemple, les États-Unis ont prévu le report en arrière des pertes nettes, générées entre 2018 et 2020, sur cinq ans.

2 – En outre, les Pays-Bas ont mis en place une « corona-réserve » pouvant bénéficier aux contribuables qui anticipent une perte fiscale en 2020 à raison de la crise sanitaire. Par cette mesure, ils sont autorisés à obtenir un crédit d’impôt égal à cette perte qui pourra être utilisé pour réduire le montant d’impôt sur les sociétés à payer au titre de 2019 (ne pouvant dépasser le montant du résultat fiscal constaté en 2019).

II – Le positionnement de la France face aux mesures internationales prises en matière fiscale et douanière

Les mesures adoptées par l’ensemble des pays du monde sont évidemment nécessaires à la survie de leurs économies, et plus globalement à l’économie mondiale.

L’Allemagne et les Pays Bas s’illustrent comme les plus « business friendly » en ce qu’ils prévoient des mesures avec un champ d’application large et des durées d’applications longues permettant ainsi aux entreprises une anticipation et une projection plus aisées.

Toutefois, et même si l’ensemble des mesures prises par ces deux États sont à accueillir avec bienveillance, il est à noter que ces derniers n’ont pris aucune mesure relative à la suspension des contrôles et contentieux (à l’exception de la baisse du taux d’intérêt de retard pour les Pays-Bas 3).

1 – Aussi, même si la France ne peut être considérée comme « l’élève modèle », des mesures prises par le Gouvernement sont à souligner telles que :

  • La suspension des contentieux et contrôles permettant aux contribuables de se concentrer sur le maintien de leur activité. A contrario, le Royaume-Uni n’a prévu aucune mesure à ce sujet. Par ailleurs, les États-Unis et la Suisse n’assurent la suspension des contrôles fiscaux que de manière informelle et peu claire, ce qui ne permet d’assurer aux entreprises une sécurité juridique optimale comme en France (même si des questions sur la mise en œuvre pratique de ces suspensions demeurent). 
  • Le mécanisme de remise des impôts directs (i.e. notamment impôt sur les sociétés et taxe sur les salaires) dès lors que les difficultés financières des contribuables sont trop importantes. Par ailleurs, même si la demande est soumise à examen préalable de l’administration fiscale, la France est le seul pays de ce panorama à avoir pris des mesures de remise de ces impôts.
  • Également, la France est le seul Etat de ce panel à avoir mis en place l’application d’un taux réduit de TVA de 5,5% aux livraisons domestiques,
  • acquisitions intracommunautaires et aux importations de masques et tenues de protection, ainsi qu’aux produits destinés à l’hygiène adaptés à la lutte contre l’épidémie, jusqu’au 31 décembre 2021 (à ce titre, vous pouvez consulter notre publication sur le sujet ici).
  • Enfin, il est à noter que l’administration fiscale s’est engagée à procéder aux remboursements accélérés des crédits d’impôts et de TVA.
  • En effet, nous avons pu noter, en pratique, que les échanges avec l’administration fiscale et les remboursements de ces crédits sont effectivement accélérés. Cette crise sanitaire nous a permis de constater que l’administration fiscale est en capacité, logistique et financière, de procéder rapidement à ces remboursements (dans un délai de quelques jours).

    Il convient de se féliciter d’un tel engagement mais il faut également noter que ce dernier devrait / pourrait être pris, quelles que soient les circonstances, en période de crise ou de croisière.

2 – Toutefois, malgré ces nombreuses actions, il est à noter quelques lacunes, notamment en matière d’impôts indirects. En effet, comme nous l’avions déjà indiqué dans nos précédentes publications (à retrouver ici), la TVA est « la grande laissée pour compte des mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement français ».

Un report du paiement des échéances de TVA due au titre des mois impactés par la crise sanitaire est prévu par l’ensemble des pays de l’Union Européenne de notre panel. A ce titre, la France fait figure d’exception puisqu’elle exclut formellement le report du paiement de la TVA, justifiant cette position par le fait que les entreprises ne sont que de simples collecteurs d’impôts. Toutefois, compte tenu du fait que la TVA peut avoir un effet particulièrement critique sur la trésorerie des entreprises, nous ne pouvons que regretter vivement que la France n’ait pas pris de telles mesures de report.

3 – Par ailleurs, il est malheureux que la France n’ait pas prévu des mesures concernant le report des pertes, notamment en arrière, qui permettrait aux entreprises d’alléger leur fiscalité au titre de l’exercice fiscal 2019 devant être acquittée très prochainement.

Pourtant, ce mécanisme de report des pertes, pris par différents États (tels que les États-Unis ou les Pays-Bas), aurait pu être une piste de réflexion intéressante et rapide afin de soulager la fiscalité directe et d’améliorer la trésorerie des entreprises françaises.

4 – Grands groupes de sociétés : la France a pu prendre des dispositions visant à rendre plus rigides les conditions d’application des mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la crise du Covid-19 concernant les grands groupes de sociétés.

A titre d’exemple, le gouvernement français a circonscrit le report des impôts directs, s’agissant des grandes entreprises (employant en France au moins 5 000 personnes ou ayant réalisé un chiffre d’affaires consolidé de plus de 1,5 milliard d’euros) à diverses conditions tenant à l’absence de distribution de dividendes et de rachat d’actions pendant une certaine période (pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre article sur le sujet).

Même si ces conditions ont du sens sur le plan de la politique industrielle globale de la France, il semblerait qu’elles soient plus dictées par des contraintes idéologiques qu’économiques ou financières de soutien aux entreprises en difficulté.

Conclusion

La crise sanitaire que nous vivons depuis plusieurs mois a permis de mettre en lumière les différents comportements des États face à cet état d’urgence dans divers domaines (santé, politique, économie). De part cette crise, ont pu être comparé et analysé la réactivité des différents pays et la pertinence des mesures fiscales et douanières mises en œuvre.

Même si la réactivité de la France est à saluer, cette période de crise sera, sans doute, une opportunité pour le gouvernement actuel et ceux à venir de prendre du recul sur les mesures qui ont été prises mais également de réfléchir à celles restées dans l’oubli.

Le nouveau défi qui s’ouvre est celui de la stabilisation de notre environnement juridique, fiscal et douanier mais aussi celui de sa redynamisation.

A ce jour, le constat immédiat est celui d’une reprise plus rapide de l’économie des pays qui ont été le plus « business friendly » pendant la crise sanitaire (i.e. Allemagne et Pays-Bas) tant au regard de leur rapidité d’action, de l’étendue des mesures fiscales et douanières mises en place, que de la précision du calendrier d’application de ces mesures. Ce sont également ces mêmes États qui ont été plus réservés que la France dans la mise en œuvre pratique du confinement de leur population, ce qui pourrait expliquer en partie leur situation économique.

Pour retrouver le panorama détaillé des mesures prises par les États de notre étude, nous vous invitons à consulter notre support complémentaire sur notre page dédiée à la crise sanitaire .

 

1-En Italie, le report n’est accordé qu’aux entreprises évoluant dans des secteurs limitativement énumérés (e.g. tourisme, restauration, transport) ou dont le chiffre d’affaires réalisé en 2019 ne dépasse pas 2 millions d’euros.
2-Note aux opérateurs de la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects en date du 6 mai 2020.
3-En effet, le taux d’intérêt de retard passe de 4% à 0,01% pour tous les impôts pour une durée de trois mois à compter du 1er juin 2020.
4-Loi de finances rectificative pour 2020 n° 2020-473 du 25 avril 2020 et arrêté du 7 mai 2020 relatif à l’application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée aux masques de protection et produits destinés à l’hygiène corporelle adaptés à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
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